La campagne de 1932 est violente, Auguste Brunet jouit de l’appui des hommes en place et des institutions. Le Père Le Chevallier, alors curé de Piton Saint-Leu, assiste à la campagne de Babet. Il se souvient, 25 ans plus tard :
« M. Babet avait affaire à forte partie. Il entrait en compétition avec M. Brunet, réunionnais lui aussi, ancien Gouverneur Général de Madagascar. Evidemment celui-ci présentait beaucoup plus de titres et de compétences que son adversaire dont, d’ailleurs, on ne connaissait pas les précédents. Mais le peuple n’en demande pas tant. Et la masse des travailleurs réclamait Babet. Au Piton Saint-Leu, il y eut de belles bagarres où les noirs hurlaient comme des forcenés : « Babet, Babet, not’ frère ! » L’un des manifestants reçut une balle en plein front tirée par un policier énervé qui fit feu à la foule, alors qu’il eût suffi de tirer en l’air pour disperser la meute enragée. »
Le soir du 15 mai 1932, le scrutin est sans appel : Brunet, 16 589 voix ; Gasparin, 9 645 voix ; Babet 553 et Lougnon 241.
La machine électorale a fonctionné comme à l’accoutumée. Le Père Le Chevallier écrit encore : « les élections, en ce temps là plus encore qu’aujourd’hui étaient « dirigées ». Et il était bien entendu que le candidat du Gouvernement devait passer. Ce qui arriva en effet et M. Babet n’eut plus qu’à regagner Paris. »
Même s’il est blessé dans son orgueil, Babet n’est pas de ceux qui pleurent sur un échec, il pense alors que le moment est venu de créer son propre journal. Même si c’est un échec électoral, les législatives de 1932 lui ont permis de se faire connaître. C’est dans cet état d’esprit que le 3 avril 1933, Raphaël Babet crée à Saint-Denis « La Démocratie » bihebdomadaire qui porte en exergue « Organe républicain indépendant du prolétariat de la Réunion » et pour devise « Du bonheur dans tous les cœurs par le bien-être dans tous les foyers ».
Affirmer que le bonheur est un droit pour tous les foyers, c’est prendre ouvertement parti contre une société coloniale traditionnellement fondée sur l’inégalité des conditions.
Ce sont les convictions aussi des deux co-gérants et rédacteurs, Léonce Salez et Karl Petit de la Rhodière. Des liens de longue date unissaient le propriétaire du journal et son rédacteur en chef. En 1916, la sœur de Léonce Salez, Marie Azélia, avait épousé Auguste Achille, le frère de Raphaël Babet. « La Démocratie » est aussi une affaire familiale.
Léonce Salez, qui écrivait sous le pseudonyme de « Zillo » était un journaliste redouté à la plume acerbe qui lutta toute sa vie contre les inégalités sociales, l’injustice et le racisme colonial. Racisme dont il fut victime sur les bancs de l’école et du Lycée Leconte de Lisle où on fit comprendre qu’il n’y avait pas de place pour les mulâtres. Les trois animateurs de La Démocratie savent que l’école laïque est le levier de l’ascension sociale. Les Babet en sont la preuve. On peut être descendant d’affranchie et être maire de Saint-Pierre et montrer qu’il est possible de se libérer du déterminisme social.
1945 marque le retour de Raphaël Babet sur l’arène politique, mais sa campagne est mal préparée et il échoue à nouveau aux législatives de 1945 derrière Léon de Lepervanche solidement implanté dans la 2ième circonscription. L’année suivante, attaché à De Gaulle, et représentant le Rassemblement du Peuple Français aux côtés de Jean Chatel, il défend le « Non » lors des référendums pour l’adoption de la nouvelle Constitution.