Lors que Raphaël Babet s’éteint à l’âge de 63 ans, la population de Saint-Joseph, mais aussi plus largement de la Réunion, est bouleversée par cet événement inattendu. Il avait marqué de son empreinte à la fois la ville, pour laquelle il avait beaucoup œuvré, mais aussi toute une île, qu’il a dignement représenté en tant que Député.
« Mort subite de notre Député-maire, M. R. Babet ». M. Babet était arrivé de Paris la veille. Il avait été contraint de s’arrêter à Madagascar, en cours de voyage, à cause d’un accident cardiaque.
Très dur pour lui-même et impatient d’action, il décida, encore mal rétabli de poursuivre son voyage. Fatigué, il le paraissait bien ; mais à le voir toujours occupé de projets et de plans, on ne pouvait penser qu’il fût si gravement touché. Dans l’après-midi du 29, à peine arrivé à Saint-Joseph, il voulut visiter la Mairie avec le docteur Hoarau, son adjoint, et le soir, il dînait chez Mme et le Docteur en compagnie de sa femme et du P. Le Chevallier.
Le lendemain matin, vers 7h30, le Père était à la sacristie, quand accourt tout angoissé, des sanglots dans la voix, le Docteur Hoarau disant : « M. Babet est mort ! »
M. Babet, durant ses séjours à St Joseph, était le voisin le plus proche du curé, dans une maison contiguë au jardin du Presbytère, louée par la municipalité pour les visiteurs de passage. C’est là que ce grand voyageur que fut M. Babet, devait passer sa dernière nuit sur la terre.
Vers 6h du matin, il se sentit soudain défaillir. Le Docteur appelé en hâte redescendit à son cabinet prendre une piqûre ; à son retour, M. Babet était mort. Le Père pendant ce temps était à l’autel. D’ailleurs dans le désarroi causé par la soudaineté de la mort, l’entourage, c’est-à-dire, somme toute, le Docteur et Madame Babet, ne songea pas à alerter le Père, qui, d’ailleurs, eût été mis en présence d’un mort.
La population, non seulement de Saint-Joseph, mais de la Réunion, fut profondément bouleversée par cette mort inattendue. Sa dépouille mortelle fut exposée à la Mairie, dans la Grande Salle des délibérations du Conseil Municipal. Ce fut un défilé ininterrompu de visiteurs ! Le lendemain, ses obsèques eurent lieu en présence de Mgr l’Evêque, de M. le Préfet, de tout ce que le Département compte de plus hauts personnages, de plusieurs membres du Clergé, et d’une foule considérable ». (...)
M. Babet avait un sens extraordinaire des « affaires »... Toute conversation entamée sur un autre sujet que « les affaires », ne tardait pas à tourner court. On revenait toujours, selon son expression à « ce que l’on pourrait faire... ». Il avait des idées plein la tête et, mieux, pressentait, voyait comment il les réaliserait. Que le Seigneur lui impute à mérite l’activité qu’il a dépensée pour la promotion de ses concitoyens ».
Extrait du journal de la paroisse du Père Le Chevallier à la date du 30 septembre 1957.
Depuis la mort de son frère Auguste, le 16 septembre 1955, les photos de famille l’attestent, Raphaël Babet est fatigué. Luttes électorales, campagnes difficiles, voyages entre Paris, Madagascar et La Sakay, séjours à La Réunion, le rythme de vie baisse rarement et, avec l’âge, même si Raphaël Babet ne semble pas s’en soucier, sa résistance s’émousse et sa santé se détériore.
La session parlementaire de juillet 1957 était largement consacrée à la ratification des traités de Rome. Favorable au texte, il est cependant intervenu à la tribune de l’Assemblée pour défendre la place des départements d’Outre-mer et de La Réunion en particulier dans la nouvelle organisation européenne. Sa dernière intervention, le 6 juillet 1957 pose la question de la spécificité des quatre « vieux » départements, Guyane, Martinique, Guadeloupe et Réunion par rapport aux départements algériens nouvellement intégrés aux départements d’outre-mer et dont il craint qu’ils ne drainent, pour des raisons politiques, l’essentiel des crédits métropolitains et européens. Son intervention à l’Assemblée pose avec une grande lucidité, les problèmes de fond des questions économiques et sociales. Il trace en fait les grandes lignes de ce qu’on appellera plus tard les régions ultrapériphériques.
Quelques jours après ces débats, il se rend à La Sakay en compagnie de Rose, son épouse. Ces voyages à Madagascar, étaient pour lui une sorte d’évasion, même s’ils étaient particulièrement fatigants.
Loin de l’agitation parisienne, il retrouvait avec plaisir les fermiers réunionnais installés et dont les exploitations commençaient à être très prospères. La Sakay était en pleine expansion et pouvait alors être considérée comme une éclatante réussite.
Les photographies de cette visite portent toutes au dos « La Sakay Août 1957 » écrit de la main de Rose. On y voit Raphaël Babet souvent assis et les traits tirés, il est manifestement très fatigué. Une alerte cardiaque à lieu, il est transporté par avion à l’hôpital de Tananarive et les médecins diagnostiquent un infarctus. Ils déconseillent alors vivement à Raphaël Babet de reprendre l’avion pour La Réunion. Babet ne les écoute pas et Rose ne peut rien lui faire entendre non plus. Il veut absolument être à La Réunion pour recevoir le Ministre de l’Intérieur Gilbert Jules. Ils doivent notamment poser ensemble une plaque de marbre à Saint-Joseph commémorant les dix ans de travaux du plan d’équipement et de modernisation de la commune. Rose et son mari arrivent à Saint-Joseph le jeudi 29 août dans l’après-midi. Ils s’installent dans le logement de passage à côté de la cure, rue Joseph de Souville. Raphaël Babet se rend à la mairie pour y travailler avec le Docteur Hoarau et arrêter les derniers préparatifs de la visite ministérielle de Gilbert Jules qui doit atterrir à Gillot le surlendemain.
Laissons la parole au Docteur Hoarau :
« Monsieur et Madame Babet avaient dîné à la maison en compagnie du Père Le Chevallier. Le repas se déroula normalement, mais on voyait bien qu’il était fatigué. La soirée ne s’éternisa pas et il rentra se coucher à la Maison des Hôtes, rue Joseph de Souville à côté de la cure.
Le lendemain matin, vers 6h30 j’ai reçu un appel angoissé de Madame Babet qui m’appelait, son mari n’allait pas bien. Je me suis précipité chez eux et j’ai constaté en arrivant qu’il était au plus mal et qu’il avait fait un malaise cardiaque. Je suis allé chercher immédiatement un médicament à mon cabinet pour lui faire une injection. Malheureusement la piqûre fut inutile. Il est mort à 7 heures. »
Raphaël Babet avait 63 ans.
Le 17 septembre 1957, l’Assemblée nationale rendit hommage à Raphaël Babet par la voix du Président Le Troquer qui retraça la vie et l’œuvre de ce « collègue aimable, courtois, assidu et travailleur ». Le Président termina cet éloge funèbre par cette péroraison : « L’œuvre de Raphaël Babet démontre comment un homme d’origine modeste peut parvenir à de splendides réalisations quand il a de la ténacité, du courage, de l’intelligence, de la volonté ».
Rose Babet ne chercha pas à rapatrier le corps de son mari et elle se conforma à son vœu d’être enterré dans son île, parmi ses administrés de Saint-Joseph. Raphaël Babet avait aussi déclaré, selon son épouse, qu’il désirait être enterré debout face à la mer. Ce vœu fut exaucé trois ans plus tard, le 30 août 1960 lorsque le cercueil du député maire fut transféré au sommet du piton Saladin dans un mausolée construit par le sculpteur Guiraud et l’architecte Hébrard grâce à une souscription populaire.
Le fait d’être enterré debout face à la mer intrigua plus d’un Saint Joséphois. On échafauda bien des hypothèses, on soupçonna bien des arrières pensées. Il faut sûrement n’y voir que le souhait d’un infatigable combattant qui veut mourir et être enterré debout tout comme l’avait demandé Georges Clémenceau qui fut le héros admiré de tous les Poilus de 14-18 comme l’était Raphaël Babet.
Cinquante ans après la disparition de Raphaël Babet, son mausolée a été restauré, le site a été réaménagé et mis en lumière, les commémorations ont permis à ses trois petits-fils, François, Tristan et Erick, de rendre hommage à ce grand père qu’ils avaient peu ou pas connu et sur la tombe duquel il ne s’étaient jamais recueillis ensemble. Tous ont eu une pensée émue pour Claude Babet-Mazière, la seconde fille de Raphaël dont l’état de santé n’avait pu lui permettre de faire le déplacement depuis Paris.